Où est le cool ? Les Inrocks Christine Phung fête 10 ans de création : “J’assume totalement ce qui est encore ma signature” par Alice Pfeiffer Publié le 2 juillet 2021 à 11h37 Mis à jour le 2 juillet 2021 à 11h38 Christine Phung dans les coulisses de l’un de ses défilés (© Vincent Lappartient) La créatrice française avant-gardiste célèbre le dixième anniversaire de la naissance de sa propre griffe avec un livre photographique qui dévoile les coulisses de son métier. Cela fait une décennie que Christine Phung illumine la mode parisienne de son regard minimal, rêveur mais ancré dans une réalité certaine, libérant et donnant son envol au corps féminin. Aujourd’hui une personnalité reconnue dans son industrie, elle célèbre l’anniversaire de sa marque par le biais non pas d’une collection, mais d’un recueil de photos. Avec des clichés signés Vincent Lappartient, le livre retrace l’évolution de la jeune femme à travers ses défilés au fil des années, sorte de trame narrative rêveuse. Les Inrockuptibles ont justement discuté avec la styliste de l’évolution de son regard, de son milieu et de la sape depuis ses débuts. Alice Pfeiffer : Qu’est-ce que cela te fait de revoir tes collections d’il y a 10 ans ? Christine Phung – (Rires.) Je les adore et les déteste à la fois. C’est partiellement inassumable, mais il fallait passer par là pour avancer, pour inventer la suite. J’assume totalement ce qui est encore ma signature aujourd’hui : la puissance des couleurs, la force des motifs, l’architecture de la coupe, la fluidité des drapés, le mélange des techniques et des codes vestimentaires. Alice Pfeiffer : Ton rapport au style a-t-il changé ? Christine Phung – Alors, déjà, je m’habille de plus en plus mal ! J’accorde de moins en moins d’importance à ce que je porte. Quand mon fils Amadeo est né, c’est devenu encore pire. Et quand j’ai lu ton livre “Le goût du moche”, j’ai voulu toucher le fond. Je rigole. Mais pas totalement en réalité… Je me suis beaucoup détachée ou plutôt libérée, distanciée. J’ai des besoins plus essentiels. Je vais d’abord valoriser l’engagement, la qualité des matières premières, la pérennité du style et du processus de création. J’ai besoin de sens, avant de représentation. Alice Pfeiffer : Parle-moi de ton livre. Quel était le but ? Que voulais-tu laisser à voir ? Quelle a été la démarche, l’approche ? Christine Phung – Avec Vincent Lappartient, on se connaît depuis 20 ans. On passait par les parkings souterrains du Louvre pour s’infiltrer en cachette dans les défilés haute couture sous la pyramide, on avait 20 ans. En fait, c’est même comme ça qu’on s’est rencontré·e·s. Ensuite, il a suivi tous mes défilés pendant 10 ans. Il a ce talent incroyable de capter des moments magiques, incarnés, qui précèdent le show. Il saisit quelque chose d’hyper naturel dans un moment artificiel et scénarisé. Toutes les photos racontent ce même relâchement, cette spontanéité qui rend les créations extrêmement vivantes et habitées. Alice Pfeiffer : Quel travail avec le photographe as-tu mis en place ? Qu’essayais-tu de narrer ? Christine Phung – J’ai une fascination pour la photo, cette capacité à immortaliser des instants. Ce livre, c’est tout ce qui va rester. Toutes mes archives pourront brûler, c’est ce livre que je garderai. Il raconte le mieux la manière dont j’ai eu envie qu’on porte les vêtements. Tout y est. Les attitudes, l’énergie, la sincérité, la joie, l’adrénaline. Alice Pfeiffer : Qu’est ce qui a changé dans ton regard, 10 ans après, sur la mode, la production, la consommation de fringues ? Christine Phung – Ça n’a plus rien à voir. Avant, il y avait Martin Margiela qui faisait son défilé, les 50 meilleures boutiques de la planète au premier rang et les magazines qui dupliquaient les mêmes looks pendant 6 mois. Maintenant, toutes les boutiques sont en train de fermer, et il y a 200 influenceuses qui ont remplacé les rédactrices ; elles font des stories de 4 secondes qu’on voit 200 fois. La messe a changé. C’est de la fast communication. Tout ça se digère et s’oublie immédiatement. Alice Pfeiffer : À un niveau sociétal, quel est a été le plus grand changement selon toi ? Christine Phung – Le rapport au genre est en révolution. On sort avec des mecs qui ressemblent à des filles, et des filles qui étaient des mecs il y a encore 5 ans. Cette libération identitaire va forcément avoir un impact de plus en plus fort sur notre rapport à la mode. Et c’est super.