Article du 10 avril 2020 Créer des vêtements, ce n’est pas qu’imaginer les silhouettes que les gens auront envie de porter. Créer, c’est aussi se projeter et rêver. Cette période de confinement est propice à cet exercice et, pour une fois, les créateurs peuvent aussi se poser pour l’écrire. Les visions ne s’opposent pas. Elles se répondent même souvent. Entre la poésie de Christine Phung, la directrice artistique de Léonard, et le militantisme positiviste de Gabriella Cortese, la fondatrice d’Antik Batik, deux tableaux différents éclairent l’avenir de la mode. Christine Phung, directrice artistique de Léonard : « c’est la fin d’un monde » « Je suis très inquiète par l’asphyxie économique qui va découler de cette crise sanitaire et qui va tout déstructurer. Cela va être un cataclysme social. Un tunnel très noir et très long. C’est la fin d’un monde. Cela montre à quel point nous marchions sur la tête avec la violence de notre système précédent, avec notre hyper-dépendance à la Chine et avec cette boulimie de consommation et de production. Il est évident qu’il y aura une remise en question, un avant et un après le covid-19 et que les choses doivent absolument changer. D’autant plus qu’il faut prendre en compte l’urgence climatique, la destruction irrémédiable de nos ressources, de notre terre et du vivant. Socialement, j’ai peur de l’hécatombe économique qui va être ravageuse pour les travailleurs les plus précaires de notre société, et notamment ceux de notre écosystème de la mode. Certains de mes amis photographes ont vu tous leurs contrats s’annuler et n’auront plus aucun revenu les prochains mois. Idem pour les coiffeurs, maquilleurs, attachés de presse, journalistes, designers. Cette pandémie va nous obliger à faire autrement. Nous devons réinventer les processus de création, de sourcing, de production, de distribution, de communication et de consommation. Nous devons réorganiser la mondialisation, repenser nos déplacements. Pour moi, le déconfinement sera le vrai début du troisième millénaire. Je rêve évidemment d’un monde plus juste, plus respectueux de l’environnement, avec des processus de production qui émettent moins de CO2, des créations entraînant moins de destructions, plus de respect de l’humain dans le travail, un monde plus solidaire, plus égalitaire, avec plus d’équilibre entre les sphères privées et professionnelles, un système de santé et d’éducation avec plus de moyens, etc. En tant que créatrice, je pense que la mode de ce nouveau millénaire devra produire moins, penser à « l’après usage du vêtement », réduire les déchets et les gaspillages, que ce soit avec les reliquats de tissus, les invendus ou des vêtements de seconde-main valorisés. Nous ne voulons plus de processus de production polluants. Nous ne voulons plus d’une économie barbare qui exploite une partie du monde au profit d’une autre. Tout ça pour une nouvelle robe ! »